Décès de Fritz Chervet, le virtuose du ring

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30.08.2020 19:14 Uhr
Bertrand Duboux

La nouvelle nous est parvenue dans toute sa brutalité : Fritz Chervet, l’ancien champion d’Europe des poids mouche, est décédé dans sa 78ème année. Il laisse un immense vide dans le petit monde de la boxe professionnelle suisse

***

  Tous ceux qui ont eu le privilège de voir boxer Fritz Chervet n’oublieront jamais le spectacle extraordinaire offert par ce virtuose de l’esquive et de la remise, ce prince des enchaînements,arrivé au sommet de son art par un travail inlassable et une âme de bénédictin. Débutant à quinze ans, professionnel à vingt, champion d’Europe à trente, il témoigne de cette constance qui fait défaut, la plupart du temps, à la génération actuelle. Mais aussi de cette abnégation nécessaire à toute réussite. Au plus fort de sa carrière, entamée en mai 1962 à Genève, la Suisse entière vibrait aux exploits de ce menuisier-ébéniste de 1m65 et cinquante kilos, qui a donné à la boxe helvétique ses plus belles lettres de noblesse. Après avoir réussi l’exploit de convaincre les sceptiques du début.

  Elevé à la soupe familiale, Fritz a cultivé autour d’une maman veuve trop tôt (il avait neuf ans lorsque son père est mort, en 1951) cette formidable solidarité qui a fait la force des Chervet. Troisième d’une famille de sept enfants (cinq garçons et deux filles), il a voué à la boxe une véritable passion, dans le sillage de ses deux aînés Ernst et Paul. Réservé et secret, simple et économe, il s’en est fait d’entrée une idée toute personnelle, redoutant la blessure et les séquelles de ce sport brutal et impitoyable qui a laissé défiguré plus d’un de ses prédécesseurs. Cette hantise du mauvais coup l’accompagnera jusqu’au bout et le forcera à serrer sa garde et à devenir une cible mouvante, difficile à toucher. 

   Dès son arrivée à la salle de l’Athletic Box Club Bern, en 1958, il s’est montré très réceptif aux conseils de Charly Bühler qui l’a fait progresser sans brûler les étapes. Attentif et malléable, Fritz s’est initié à la boxe avec l’application d’un élève docile et studieux. Son association avec le prévôt bernois fut celle de la tête et des poings. Pendant près de deux décennies, elle a rempli les salles et fait des merveilles aux quatre coins du pays, rassemblant autour d’un idéal commun ceux qui portent au noble art le même amour que le mélomane à la musique. Echanges rapides, contres, défense habile : tous ses gestes étaient en harmonie et donnait au mouvement une élégance rare.  

  Obligé d’adapter son style à ses caractéristiques, Fritz deviendra au fil des combats un véritable artiste du ring, jouant avec les cordes pour surgir et mener des attaques fulgurantes. Sa mobilité exceptionnelle et sa rapidité d’exécution ne laisseront aucun répit à ses adversaires. Ses remises, la précision de ses coups, leur répétition étaient un ravissement pour l’œil. Elles compensaient un manque de puissance qui restera, hélas, un handicap rédhibitoire.

  D’apparence frêle, mais hargneux comme peuvent l’être les petits gabarits, il ne lâchait plus sa proie dès qu’il sentait qu’elle était à sa portée. S’appuyant sur un jeu de jambes irréprochable, il boxait avec le talent et la pureté d’un premier violon. Ses récitals face au Sarde Atzori, contre lequel il est devenu champion d’Europe le 3 mars 1972 (après un échec douloureux en 1967/ko 14ème), puis encore en 1973 (ko 7ème) demeureront dans les annales, même si le titre mondial s’est refusé à lui pour d’obscures raisons qui tiennent plus du boxing-business que de l’équité sportive.

  En mai 1973, en effet, il avait échoué (arrêt 5ème) sur blessure à un œil dans la fournaise de Bangkok face au Thaïlandais Chartchai Chionoi. La revanche, le 27 avril 1974, avait attiré 11'000 spectateurs au Hallenstadion de Zurich. Malgré le soutien du public et sa détermination, Fritz y avait perdu ses illusions dans la confusion la plus totale. La fédération WBA était représentée par un superviseur américain, un arbitre hawaïen et un juge thaïlandais. En face, le seul et vénérable Josef Sutter ne pesait pas lourd pour la FSB. Chacun savait que Fritz n’avait pas le droit à l’erreur. Il fera un combat magnifique, harcelant le tenant du titre, le. déclassant même par ses attaques à répétiion, ses déplacements et ses esquives. Au 10ème round, il haussait le rythme et débordait Chionoi. Il était déchaîné et submergeait en technique et en vitesse le Thaïlandais, hélas sans pouvoir conclure. Il insistera encore à la 11ème reprise, mais il laissera passer sa chance et sera déclaré battu aux points, au désespoir de ses innombrables supporters qui créeront un beau chahut au bord du ring !

  Malgré quelques revers qui ont failli le détourner de la boxe (en 1965, il est resté inactif), il s’y est investi corps et âme, avec des principes très stricts qui l’ont fait, certes, apprécier de ses adversaires, mais aussi entrer finalement en désaccord financier avec Bühler après une longue et fructueuse collaboration. Malgré leur complicité, leurs personnalités étaient souvent en opposition, et Fritz n’était pas l’homme des compromis. L’échec des négociations pour un nouveau championnat du monde en mi-mouche (nouvelle catégorie) marquera la rupture d’une relation de dix-huit ans. Il précipitera sa fin de carrière, à l’âge de trente-cinq ans, après un dernier combat victorieux contre le Thaïlandais Fahsrithong Fairtex, en décembre 1976.

  Déçu, frustré, Fritz Chervet se repliera progressivement sur lui-même, tournant le dos à ce milieu qu’il a illuminé et enchanté par ses formidables qualités techniques. Pendant dix ans il se tiendra à l’écart de la scène publique, vivant chichement, de petits boulots, du chômage, marginal et isolé dans la laiterie qu’il a achetée et transformée en maison d’habitation, à Sugiez, au bord du lac de Morat, sans électricité ni téléphone et télévision. Un acte de révolte contre ce monde de la boxe qui ne lui a pas rapporté, ni rendu, estime-t-il, ce qu’il lui a donné par tous les sacrifices consentis. 

  Attiré par l’Asie, il a voulu partir s’établir en Thaïlande lorsque son frère Werner l’a aidé à obtenir, en 1993, à 51 ans, une place d’aide-huissier au Palais fédéral. Un travail flexible auquel il s’est accroché comme à une bouée de sauvetage. Sérieux, précis et rigoureux, comme à l’époque de sa gloire, Fritz y fut très apprécié des députés en session, parmi lesquels il évoluait de cette démarche souple et chaloupée qu’on lui connaissait entre les cordes. Jusqu’à sa retraite, en 2007.

  Rien, aucune cicatrice, aucune marque ne témoigne de ses septante et un combats professionnels. Alors âgé de 62 ans, il affichait toujours une forme resplendissante grâce à une discipline à laquelle il n’a jamais dérogé : pas un verre d’alcool, pas une cigarette ; une vie réglée comme du papier à musique et deux kilos de moins ( !) que lorsqu’il jouait les petits Mozart du ring. Une fois par semaine, il sacrifiait encore au rituel de l’entraînement, à Fribourg, pour entretenir ce corps d’athlète qui a été son capital-vie. Il y refaisait les mêmes gestes que jadis et n’avait rien perdu des qualités qui ont fait sa réputation. 

  Malgré tous ses efforts pour rester en forme, et notamment quelques sorties à vélo, Fritzli avait vu sa santé se dégrader inéluctablement ces dernières années. Toute la Suisse sportive est attristée par la disparition de celui qui a fait plus que tous les discours politiques pour unifier le pays.

 

Né le 1er octobre 1942 à Bümplitz (Berne). Originaire de Sugiez (Fribourg)

Champion de Suisse amateur poids mouche 1961 et 1962

Médaillé de bronze au championnat d’Europe amateur 1961

Professionnel en 1962 (71 combats, 59 succès, 2 nuls, 9 défaites, 1 no-contest)

A disputé 8 championnats d’Europe poids mouche, dont 5 victorieux entre 1972 et 1973

A perdu 2 championnats du monde WBA en 1973 et 1974.

 

Bertrand Duboux, 30.8.2020

Réf. Un siècle de boxe en Suisse, 2005

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